Le courage
Parce qu'il a brisé l'omerta napolitaine, Roberto Saviano vit menacé de mort par la Mafia,se terre,est souvent victime de calomnies.... Avec ce recueil d'articles publiés entre 2004 et 2009 dans les journaux du monde entier, il revient sur sa situation depuis la parution de Gomorra - la solitude, l'exil et la reconnaissance internationale.
Entre la beauté et l'enfer, le lecteur pénètre dans ce qui ressemble à un journal de bord où se mêlent expériences personnelles, souvenirs littéraires et portraits d'hommes et de femmes qui incarnent aux yeux de l'auteur d'authentiques figures de résistance.
Dans une vision universaliste, Saviano dénonce ce qui concourt à avilir l'existence humaine et célèbre en parallèle la beauté qui échappe à toute forme d'oppression, comme l'amour ,le combat pour la vérité ou les livres.
Extraits:
...Et je demande à ma terre :que nous reste-t-il? Dites-le moi. Surnager ?Faire comme si de rien n'était? Fouler des escaliers d'hopitaux lavés par leurs coopératives de nettoyage ,mettre dans le réservoir de la voiture l'essence de leurs distributeurs? vivre dans les maisons qu'ils ont construites,boire le café de la marque qu'ils ont imposée,cuisiner dans leurs casseroles...(et je rajoute :de porter les marques de leurs vêtements )
Manger leur pain ,leur mozzarella,leurs légumes? Voter pour leurs hommes politiques qui ,comme le déclarent les repentis,accèdent aux plus hautes charges nationales ? Travailler dans leurs centres commerciaux,construits pour créer des emplois et la soumission liée à l'emploi?...
Êtes -vous fiers de vivre sur un territoire qui possède à la fois les plus grands centres commerciaux du monde et l'un des taux de pauvreté les plus élevés? De passer votre temps dans les magasins autorisés et gérés par eux? De vous assoir au café à coté de leurs enfants,des enfants de leurs avocats,des enfants de leurs cols blancs....
Combien de temps devrons-nous encore attendre? Pendant combien de temps devrons-nous voir les meilleurs émigrer,et les résignés rester? Êtes-vous vraiment sûrs que ce soit bien ainsi?Que les soirées que vous passez à flirter,à rire,à vous disputer,à maudire la puanteur des ordures ,à bavarder entre vous ,peuvent suffire?Vous voulez une vie simple ,normale ,faite de petites choses ,pendant que ,autour de vous ,se déroule une véritable guerre,pendant que ceux qui refusent de subir,qui dénoncent et qui parlent perdent tout. Comment avons-nous pu devenir aussi aveugles? Aussi asservis et résignés ,aussi soumis...
Je ne peux pas croire que seuls quelques individus exceptionnels parviennent à résister.Que dénoncer ces abus n'incombe ,désormais qu'à quelques personnes- prêtres ,enseignants,médecins ,rares politiciens honnêtes-et aux groupes qui tiennent lieu de société civile.Et le reste? Les autres restent sagement cois ,tétanisés par le peur?
La peur. L'alibi principal. Elle donne bonne conscience à chacun ,parce que c'est en son nom que l'on protège sa famille ,ses êtres chers ,sa propre vie innocente ,et le droit sacro-saint ,de la vivre et de la construire.
Et pourtant,il ne serait pas difficile de ne plus avoir peur.Il suffirait d'agir,mais pas seul.La peur va de pair avec l'isolement.Chaque fois que quelqu'un se dérobe ,il engendre une autre peur ,qui en engendre d'autres à son tour,en un crescendo exponentiel qui fige ,érode ,détruit lentement.
Je voulais rajouter ,qu'en lisant ces lignes ,j'ai pensé à la pieuvre qui s'étend dans les cités de France et du même manque de courage de ses habitants ,de ses édiles ,et des partis politiques .
Monsieur Saviano ,si vous saviez ! Il n'y a pas que le Sud de votre pays.